mardi 29 mai 2018

Secours à Bagnolar

Canyon de Bagnolar : Dimanche 29 avril 2018

Participants : GSM : Katia, Sonia, Denwal et Alex VDK. CAF de Marseille : Benoit, Marion, Julie et Aurélien. Individuel : Thomas. Le binôme : Hubert et Fanny (la blessée)

Part I :

"Nous sommes quatre du Groupe Spéléo Magnan, nous partons faire le canyon de Bagnolar dans la Vésubie, premier canyon de l'année pour nous. C'est le bon moment pour le faire, il est bien en eau ! Nous partons de bonne heure car la pluie est annoncée en début de soirée.

Nous attaquons le canyon avec beaucoup de prudence, les intempéries précédentes ont pas mal changé le paysage du canyon. Le pied est donc encore hésitant pour certain…



On est vite rattrapé par un binôme, un gars avec sa copine. Nous allons bien moins vite qu'eux, nous les laissons donc passer.

Il est 12H15 environ, j'avais déjà équipé la C15 au départ du premier encaissement, je les laisse descendre sur notre corde afin de leur faire gagner du temps. Le premier s'élance, suivie de son amie. A un mètre ou deux de l'eau, celle-ci donne une impulsion sur ses jambes pour s'extraire de la cascade, malheureusement elle tombe et sa jambe droite s'écrase sur le rocher juste en dessous. Je vous passe les détails sur la douleur qu'elle a dû ressentir à ce moment, ses cris ont glacé le sang de mes équipiers. Je comprends rapidement qu’il vient de se passer quelque chose de grave.


Aussitôt, son copain s’élance à son secours, je décide de rester au haut et d’envoyer mon collègue Denwal avec le bidon de secours en renfort. Vu le peu de place en bas et l’encaissement je ne fais pas descendre le reste du groupe. Les filles seront mieux dans cet espace ouvert avec encore du soleil. On me fait signe d’appeler les secours. Je sors le téléphone du bidon, malheureusement les barres rocheuses ne me permettent pas de passer d’appel. J’escalade tant bien que mal les parois afin de prendre de la hauteur, mais je ne parviens pas à trouver du réseau. A ce moment nous sommes rejoints par une autre équipe croisée plus tôt sur le parking du départ. Nous essayons de nous organiser afin de prendre les meilleures décisions possibles et surtout d’éviter le sur-accident. Thomas et Julie, du deuxième groupe, partent avec un téléphone remonter le canyon pour tenter une escalade afin de trouver du réseau. Benoit, l’initiateur du 2ème groupe rejoint la victime. Il part peu après avec le reste de l’équipe, Ils vont continuer la descente du canyon afin de trouver l’échappatoire et le précieux réseau. La décision est bonne, ça ne sert à rien de rester trop nombreux, sachant que dans l’attente le froid se fait vite ressentir. De plus, je suis rassuré de savoir Sonia et Katia avec Aurélien, Marion et Benoit. Je ne connais pas encore ces personnes, mais leurs attitudes en disent long sur leur expérience et bienveillance.

Après une brève réflexion avec Thomas, mes connaissances en spéléo secours seront plus utiles si je reste en haut de la cascade. Je prends donc la décision de garder cette position, de plus je pourrais orienter l’hélico sur zone si besoin. A cet instant, je ne sais absolument pas à quel moment les secours seront déclenchés. Je descends rapidement pour prendre des nouvelles de la victime et faire le point avec Denwal et le compagnon de notre blessée. Elle est consciente, les lèvres cyanosées et grelotte légèrement, le moral est un peu dans les chaussettes mais on a vu pire. Le point chaud est très précaire malgré les bons réflexes des équipiers. La jeune fille est installée sur un matelas de cordes au bord de la vasque, Denwal est à ses côtés sous trois couvertures de survies et tente tant bien que mal de maintenir les bougies artisanales allumées. Son compagnon se positionne devant elle, afin de faire barrage aux embruns. L’endroit où la victime est mise attente est loin d’être aussi confortable qu’au-dessus de la cascade, elle est au bord de l’eau et face au vent. La température est froide et accentue fortement le risque d’hypothermie. Je m’attends au pire, le temps passe vite, le vital prime et c’est l’hypothermie que je crains le plus. Pour avoir fait des stages de spéléos sur l’assistant secours victime (ASV), c’est la première chose à laquelle on pense. Je commence à réfléchir avec Hubert et le matériel à notre disposition afin d’installer un balancier contre poids avec une reprise de charge en haut pour faire remonter la victime. Les deux points d’amarrages suivants sont idéalement bien placés pour faire un guide (rappel guidé ou tyrolienne) et ainsi éviter l'eau. Je commence à installer les ateliers, la remontée sous cascade est très pénible, je bois la tasse à deux reprises, l’axe de la corde est en plein dans la veine d’eau. Je me libère d’un de mes deux kits pour gagner en efficacité. Une fois en haut je continu mon installation afin de prévoir un mouflage par le haut, un bel arbre une dizaine de mètres en amont me permet de mettre en place une reprise de charge.

J’ai conscience que déplacer, voir toucher la jeune fille blessée est pour le moment inenvisageable. La douleur est beaucoup trop forte pour tenter quoi que ce soit, mais si les secours mettent trop de temps à arriver et que le froid gagne du terrain, il faudra passer à l’action. En attendant il faut se contenter de ce point chaud précaire. La mutualisation du matériel de chaque groupe est primordiale, tapis de corde sous la victime, pose d’une attelle souple, couvertures de survies épaisses doublé d’un contact humain et nos fameuses bougies artisanales qu’on emmène en spéléo à chaque fois. Toutes ces petites choses sont précieuses !

Vers 16h30, j’entends le bruit sourd de l’hélico, un grand soulagement collectif s’en est suivi. Thomas et Julie partis en amont pour escalader ont réussi leur mission. Ils ont ainsi pu prévenir les secours et guider l’hélico à l’approche du canyon, ils me rejoignent quelques minutes plus tard. Cependant, la manœuvre est très délicate, l’hélico s’y reprend à plusieurs reprises pour trouver l’espace nécessaire pour descendre les équipiers. Je le vois faire des allers retours pendant une dizaine de minutes, les parois abruptes et les arbres ne facilitent pas l’accès. Je me positionne de manière à être visible en formant un Y avec mes bras et mon corps (c’est le signe conventionnel pour demander du secours). Une fois le bon angle trouvé je pars me mettre à l’abri, en effet le souffle de l’hélico est puissant et balaye tout, le risque de se prendre une pierre sur la tête est trop grand.

Ce sont les CRS de montagne qui sont de garde aujourd’hui. Un premier équipier descend jusqu’à moi, je lui explique la situation. Ils n’avaient pas compris que la victime se trouvait 15 mètres plus bas dans l’encaissement. Il appel des renforts avec du matériel supplémentaire. En quelques minutes plusieurs secouristes nous rejoignent, ça s’agite dans tous les sens. Un médecin arrive auprès de la victime, il dresse un premier bilan et la met sous perfusion, Denwal et le compagnon de la victime restent jusqu’au bout pour assister le médecin dans les gestes médicaux. Pendant ce temps j’aide les CSR dans les manips, je démonte mon installation, échange quelques mots avec les sauveteurs.

Avec Thomas et Julie nous descendons un peu plus bas pour laisser la place. Nous attendons une demi-heure le temps que la victime soit installée dans la civière. Nos deux derniers équipiers ayant terminé leur mission, nous rejoignent et nous continuons la descente initialement prévu. Il est déjà tard, 18h environ, les nuages noirs se resserrent et il reste encore 3h de descente pour rejoindre la fin du canyon. La pression retombe, la fatigue et le froid accumulé des dernières heures ont beaucoup entamé notre physique. Pendant la descente on regarde le ciel, l’hélicoptère remonte la civière, elle est maintenant en sécurité. Une heure de descente plus tard, nous arrivons devant l’échappatoire balisée. Nous décidons à l’unanimité de nous arrêter là, sage décision. Les averses éparses nous ont suivi jusqu’à notre retour à la voiture, nous nous changeons sous une grosse pluie vers 20h, les prévisions étaient justes. La première équipe nous attendait, à l’abri dans le camion avec le café chaud et une petite bière en guise de récompense, merci à eux !"




Partie II

Avant de dresser un bilan de cette journée, je tiens à préciser qu’il n’y pas eu de faute technique ou de mauvaise manipulation de matériel entraînant cet accident, il aurait pu arriver à n’importe qui (débutant ou expérimenté), c’est la faute à « pas de chance… ». Seule la question du manque de vigilance dû à une fatigue accumulée peut se poser. Mais là encore, je ne peux pas m’avancer d’avantage.

Dans l’ensemble, je dirais que la chaîne des secours s’est bien déroulée. L’expérience de la plupart des membres de chaque équipe a permis une meilleure analyse de la situation afin de prendre les décisions les plus adaptées. Il ne faut surtout pas se précipiter afin d’éviter le sur-accident. Agir sans réfléchir a des conséquences néfastes sur la suite des événements. La mise en attente de la victime dans un point chaud est fondamentale, avec ce type de conditions, que ce soit en canyoning ou en spéléo, l’attente cumulée à une blessure entraîne inévitablement l’hypothermie. C’est pourquoi, il est très important de ne pas négliger dans son matériel des moyens de chauffage efficace, et j’insiste là-dessus, car l’attente est souvent très longue. Dans notre cas, il s’est écoulé 4 à 5 heures entre le moment de l’accident et l’arrivée des secours. Les petites bougies chauffes plats sont à éviter, sauf pour la déco pour un canyon ou une spéléo romantique ! Leur durée de vie est très limitée malheureusement. Par ailleurs le choix de la couverture de survie est fondamentale, les petites couvertures fines sont bien en cas de dépannage, mais dans nos activités il faut privilégier les couvertures épaisses (il y a environ un euro d’écart et à peine plus d’encombrement). Celles-ci sont beaucoup plus résistantes face aux embruns d’une cascade et permettent de retenir la chaleur d’une bougie de survie de manière plus efficace. De plus, il est possible de les réutiliser si on les sèches et les replies correctement. En spéléo certains d’entre nous ont fait le choix de ponchos fabriqués en toile de parapente ou en couverture de survie épaisse. Celles-ci sont adaptées pour de longues attentes, se replient et se rangent facilement. Posez-vous cette question : si je dois rester coincer au moins 12 heures ici, qu’est-ce que j’ai à ma disposition et pour le groupe afin de gérer l’attente ? C’est toujours au moment où l’on en a le plus besoin que l’on regrette de ne pas avoir pris cette plus grosse bougie ou cette deuxième couverture pour gagner en poids ou en encombrement. Sauf que là c’est trop tard, la maison ou la voiture sont loin…

Dans le cas de cette journée, la mutualisation du matériel collectif de chaque groupe a été déterminante dans le déroulement des événements. Une attelle souple a pu être posé rapidement, trois couvertures de survies (dont une épaisse) et un tapis de corde ont permis d’isoler la victime du froid et des embruns de la cascade. Les bougies ont servi tout au long de l’attente afin d’apporter un peu de chaleur à notre blessé. J’avais pourtant hésité à prendre toutes mes bougies, j’aurais eu tort… Les lieux d’accidents ne sont jamais très confortable, il faut dans la mesure du possible protéger au mieux la victime (d’une chute de pierre, d’un écoulement d’eau, d’une cascade, des embruns…). Si le déplacement n’est pas possible il faut s’organiser au mieux pour améliorer le confort autour de celle-ci. Dans notre situation, la victime était placée sur une banquette rocheuse lisse au bord de l’eau. Impossible d’éviter les embruns de la cascade. Son conjoint est resté une grande partie de l’après-midi devant elle pour la protéger du vent dans une position inconfortable. Son déplacement n’était pas possible à cause de la douleur, nous avons dû composer avec.

Les moyens de communication ont été vitaux durant cette journée. Par chance nous avions au total quatre téléphones, malheureusement les barres rocheuses, comme dans beaucoup d’endroits en pleine nature, ne permettent pas de passer d’appel. Vu que nous étions nombreux, nous avons pu séparer le groupe afin de trouver rapidement une zone pour téléphoner et ainsi maximiser les chances de contacter les secours.

Cette expérience, nous fait grandement réfléchir sur la nécessité de bien choisir le matériel que l’on emmène avec soi. Il ne faut pas le minimiser sous prétexte que l’on soit expérimenté ou en équipe réduite pour gagner en vitesse. Que ce soit sur le matériel individuel ou collectif, il faut se poser les bonnes questions sur ce qui est vraiment indispensable, car une chose est sûre, tout peut arriver à n’importe quel moment…

Pour terminer ce compte rendu, je résumerais cette aventure en 6 mots : du stress, de l’angoisse, du soulagement, beaucoup de solidarité, quelques rires et des rencontres.

Merci à tous pour votre aide et votre bonne humeur tout au long du parcours..

Et surtout BON RÉTABLISSEMENT Fanny !

Alex VDK
Bonus : la radio du tibia/fibula (péroné) droit

3 commentaires:

  1. Beau retour d'expérience, et bon courage à l'accidentée ;-)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'ai eu de ses nouvelles, elle se remet progressivement de son accident. Le plus dur c'est le mental selon elle.. L'immobilisation n'est pas facile.

      Supprimer